A. Duchesne, INRA,

Mutation du gène KIF1C

Mutation du gène KIF1C : un test pour le dépistage et l’éradication de l’ataxie progressive en race bovine Charolaise, mais aussi un modèle naturel d’une maladie démyélinisante chez l’homme

L’ataxie progressive est une anomalie neurodégénérative décrite chez les bovins Charolais depuis 1972. Elle porte atteinte au bien-être des animaux atteints et elle est coûteuse pour l’élevage du fait de son expression tardive. La mutation responsable a été identifiée dans le gène KIF1C. Une collaboration avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière a permis d’exploiter ce modèle bovin pour avancer dans la compréhension de la physiopathologie de ces anomalies.

MOTS-CLES : Gène KIF1C - race bovine charolaise - anomalie génétique - ataxie progressive - modèle pour l’homme

A. Duchesne, INRA, gène KIF1C
Le modèle des bovins ataxiques offre la possibilité de mieux comprendre la physiopathologie de l’anomalie. L’étude des plaques de démyélinisation a permis de mettre en évidence des agrégats d’actine (rouge) au centre de ces structures, ainsi qu’une prolifération anormale des membranes  des oligodendrocytes (vert).

En 1972, une nouvelle anomalie est identifiée chez des bovins de race Charolaise dans différents pays : l’ataxie progressive.

Les bovins touchés, des deux sexes, développent entre 12 et 18 mois une incoordination et une raideur des membres postérieurs. Ces symptômes s’aggravent dans les mois qui suivent, jusqu’à la paralysie des membres et à la mort. Les premières études histopathologiques montrent des lésions caractéristiques dans le système nerveux central exclusivement, touchant majoritairement la substance blanche. L’étiologie génétique a longtemps été suspectée mais sans être confirmée.
En France, la mise en place de l’Observatoire National des Anomalies Bovines (ONAB, www.onab.fr) en 2002 et le concours actif de quelques vétérinaires attentifs ont permis d’observer cette émergence d’ataxie progressive. Au total, 71 cas potentiels ont été décrits au cours d’une quinzaine d’années, conduisant l’INRA à lancer un programme de caractérisation de cette anomalie.
Le génotypage avec des puces SNP d’une quarantaine de cas a permis de valider le déterminisme exclusivement génétique de l’anomalie, avec un mode de transmission autosomal récessif. Le séquençage du génome de 2 animaux malades a permis d’identifier la mutation causale dans le gène KIF1C (Kinesin Family member 1C), une substitution non synonyme dans la partie codante associée à une extinction de l’expression de la protéine KIF1C dans les tissus nerveux. Cette mutation semble ancienne : en dépit d’une bonne connaissance des pedigrees sur plus de 12 générations, aucun ancêtre n’a pu être identifié comme seul responsable de sa diffusion. Associée à l’état hétérozygote à une meilleure conformation squelettique et musculaire, elle n’a pas été éliminée par la sélection naturelle. Un test moléculaire est maintenant disponible et constitue un outil de choix pour gérer cette anomalie à la fois coûteuse pour l’élevage et portant atteinte au bien-être animal.
Mais au-delà de son impact sur l’élevage, le bovin a constitué un modèle d’étude de pathologies humaines analogues. Chez l’homme, les paraplégies spastiques héréditaires (HSP) forment un ensemble cliniquement et génétiquement hétérogène d’anomalies neurodégénératives. Le signe d’appel est une faiblesse et une spasticité des membres inférieurs, conséquence clinique de la dégénérescence des axones cortico-spinaux. A ce jour, plus de 70 types génétiques différents ont été décrits. Des mutations du gène KIF1C sont associées à la paraplégie spastique héréditaire type 58 (SPG58/SPAX2). Pour cette anomalie, l’imagerie cérébrale montre des foyers de démyélinisation mais la nature cellulaire de la lésion demeurait inconnue jusque-là, notamment en raison de l’impossibilité de prélever du matériel biologique chez les patients.
La collaboration initiée entre les deux équipes de l’INRA et de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière a permis de montrer que les bovins ataxiques pouvaient être considérés comme le premier modèle animal naturel de la SPG58, d’autant plus que chez la souris, l’invalidation du gène Kif1c ne produit aucun phénotype. Le modèle bovin offre donc la possibilité de mieux comprendre la physiopathologie de l’anomalie, notamment la nature cellulaire et moléculaire de la plaque de démyélinisation. Les lésions myéliniques dont le diamètre dépasse rarement 100 micromètres de diamètre touchent plusieurs tractus (cerveau, cervelet et moelle épinière) et ont pour point de départ l’oligodendrocyte. L’altération de l’expression de KIF1C impacte le transport de l’actine du cytoplasme vers les segments d’enroulement de l’oligodendrocyte, soulignant le rôle de cette kinésine dans le maintien de l’intégrité structurale et fonctionnelle de la myéline.
Le test a été transféré à trois laboratoires français dès 2017, bien avant la publication. Il constitue un outil de choix pour gérer cette anomalie à la fois coûteuse pour l’élevage et portant atteinte au bien-être animal. D’une part, la fréquence de l’allèle muté devrait diminuer dans la population du fait de l’effort de sélection, d’autre part le nombre de cas devrait être très limité avec une politique de reproduction évitant les accouplements à risque.
Comme plusieurs autres anomalies déjà détectées, cette anomalie pourrait constituer un modèle pour l’homme, en l’absence de modèle rongeur présentant le phénotype. L’ataxie progressive du Charolais constitue donc un modèle animal naturel d’étude de la paraplégie spastique héréditaire type 58 (SPG58/SPAX2). Plus généralement, elle offre aussi un modèle d’étude de maladie démyélinisante.

Contact(s) scientifique(s)

Département(s) associé(s) : Génétique Animale

Centre(s) associé(s) : Jouy-en-josas

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Voir aussi

Références bibliographiques

Duchesne A, Vaiman A, Frah M, Floriot S, Legoueix-Rodriguez S, Desmazières A, Fritz S, Beauvallet C, Albaric O, Venot E, Bertaud M, Saintilan R, Guatteo R, Esquerré D, Branchu J, Fleming A, Brice A, Darios F, Vilotte JL, Stevanin G, Boichard D, El Hachimi KH. 2018. Progressive ataxia of Charolais cattle highlights a role of KIF1C in sustainable myelination. Plos Genetics, 14(8): e1007550. https://doi.org/10.1371/journal.pgen.1007550

Date de modification : 05 octobre 2023 | Date de création : 04 janvier 2019 | Rédaction : A. Duchesne - Edition P. Huan